Le café raquette de Saigon

Cà phê vợt Sài Gòn emplit de nostalgie les anciens saïgonnais et intrigue les jeunes. Mais qu’est-ce donc que ce café raquette ?

Il était une fois, avant l’invention de la cafetière…

Le café et le Vietnam, c’est une longue histoire d’amour, qui a commencée dans les années 1890, quand les colons français ont eu l’idée de cultiver des plants de caféiers au Vietnam. S’en suit une histoire aux débuts compliqués, à l’histoire mouvementée, pour une boisson au départ réservée aux nobles, aux bureaucrates et autres élites de l'intelligentsia urbaine. Peu à peu, le sombre breuvage s’est démocratisé pour devenir une des boissons les plus bues au pays des palanches. Il se déguste dans des cafés qui sont autant de lieux cosy, branchés, vintages, improbables, tendance, sur un bout de trottoir… Un mode de vie que tout voyageur au Vietnam ne manque pas de remarquer et d’adopter.

Le café raquette (qu’on appelle aussi café chaussette, mais ça sonne quand même moins… savoureux) est né dans le Saigon des années 1950. L’horrible café dosette en vogue de nos jours n’existait pas encore et la cafetière à l’occidentale ne se trouvait que dans les ménages aisés. C’est donc avec une débrouillardise toute vietnamienne (les plus chauvins diront : typiquement saïgonnaise) que fut inventé le café raquette, que ne ferait-on pas par amour du café. Une autre version, certainement plus historique, attribue la paternité du ca fe vot aux ouvriers chinois immigrés dans le district 5. Puis, de district en district, il se serait répandu dans tout Saigon, comme un symbole de sa mixite culturelle. On est donc sur un café d’ouvrier, populaire, qui ne s’embarrasse pas de filtre en inox ou en alu. Pas le temps de laisser couler goutte à goutte ce qui donnera un coup de fouet au porteur de colis dans Cho Lon. Il est attesté que les Saïgonnais de l’époque, surtout ceux de Cho Lon (le Chinatown de Saigon), prenaient leur petit déjeuner en buvant du café avec du gâteau au poivre, trempant ce dernier dans le breuvage réveille-matin ou après avoir pris un morceau de gâteau et l’avoir posé dans une cuillère, ils versaient un peu de café dessus et l’avalaient avec délice.
Comme pour beaucoup d’autres choses, le modernisme a peu à peu chassé le rituel du café raquette du matin, il reste moins de 10 établissements de nos jours à Ho Chi Minh-ville qui perpétuent cette odorante tradition.

Mais pourquoi café raquette ? En fait, le terme fait référence à ce qui sert de filtre. Si vous connaissez déjà le café vietnamien, vous connaissez certainement le filtre en métal utilisé pour infuser le divin breuvage. Oubliez tout cela, la raquette n’a rien à voir. Vous ne connaissez pas encore le café vietnamien (il est urgent de contacter une agence de voyage spécialiste du Vietnam pour remédier à cela) et vous vous imaginez un filtre en papier comme dans le bon vieux temps des cuisines en formica ? Non plus. Il faut plutôt voir quelque chose qui a la forme… d’une raquette, sur laquelle est plaqué un tissu fin, qui fera office de filtre. Mais attention ! Autre subtilité, une fois la raquette remplie de café – une fois qu’elle ressemblera à une chaussette - on la plongera plusieurs fois dans l’eau bouillante, pour la ressortir avec savoir-faire et expérience. Et un peu de magie : l’eau bouillante sera devenue un café bouillant, aux arômes uniques, inimitables, typiquement saïgonnais. Si vous souhaitez un café froid, il sera versé tel quel dans une tasse contenant quelques glaçons. Si vous l’aimez chaud (ce qui est la norme), le café sera réservé dans une bouilloire en aluminium posée sur un petit brasero. Tout un art… Dans la préparation, dans le service et dans la dégustation !
Contrairement à ce que son nom pourrait laisser penser, le café raquette donne une boisson à l’opposé du « jus de chaussette » comme on l’entend en Occident. Certes, le gout est particulier, mais la saveur est délicate, ni trop forte, ni fade, légèrement grasse.

Un dernier détail qui a son importance : un café raquette se boit dans un café à l’ancienne – ce qui ne veut pas dire démodé - sans wifi, sans climatisation, souvent dehors, sur un trottoir. Rien de sophistiqué. Que le gout. Et la nostalgie.