Avec pour berceau la culture chinoise, la calligraphie vietnamienne est née vers le 1er siècle de l’ère commune. Elle a longtemps suivi les règles de l’art du tracé chinois et utilisé son écriture dite Han Tu ou Chu nho, les idéogrammes. Elle s’en est démarquée, affirmant son identité propre et devenant un des fondements de la culture populaire du Vietnam.
Un peu d’histoire | L’écriture vietnamienne | Calligraphie vietnamienne aujourd’hui… | … et demain
De par ses échanges commerciaux et culturels avec la Chine mais surtout la très longue domination de cette dernière sur le Vietnam - 1 000 ans : du 1er siècle jusqu'en l'an 938 – la calligraphie vietnamienne a longtemps été influencée par les canons et les règles de son imposant voisin. Rappelons qu’avant que l’écriture chinoise ne soit introduite au Vietnam, seule existait la langue parlée.
Résumons la situation de l’époque : en l’an 221 avant J.-C., Qin Shi Huang, le premier empereur de Chine, achève la réunification de la Chine. Quelques siècles plus tard, sous le règne de l’empereur Han Wudi, le Vietnam est conquis et annexé à l’empire chinois. Les Vietnamiens vivront plus d’un millénaire de domination chinoise, période marquée surtout par d’un côté, les Chinois qui exploiteront et tenteront d’assimiler les Vietnamiens et de l’autre, ces derniers qui ne cesseront de lutter pour leur propre indépendance, résistant de leur mieux à l’envahisseur qui se faisait toujours plus présent. La période est aussi marquée par la volonté très ferme des colons de siniser les Vietnamiens. Cette l’assimilation passait – avec l’importation du confucianisme et plus tard du taoïsme - par l’envoi de scribes s’implanter au Vietnam. Ceux-ci seront à l’origine de l’écriture vietnamienne, aux environs du 1er siècle de l’ère chrétienne. A cette époque, le chinois était la langue des érudits, de l’enseignement, que les vietnamiens utilisaient conjointement à leur langue maternelle. C’est ainsi qu’aujourd’hui encore, de nombreux termes chinois se trouvent, sous une forme vietnamisée, dans le dictionnaire vietnamien.
Pendant ce temps de domination chinoise, la calligraphie était pratiquée par les nobles et les familles de sang royal. Elle était aussi d’usage dans les concours nationaux et le recrutement des mandarins et des fonctionnaires.
938, c’est enfin l’indépendance du Vietnam. Mais 1 000 ans sous influences chinoises ne s’effacent pas aisément ! Si le chinois reste encore la langue officielle, il évolue à la façon vietnamienne, ce qui donnera la prononciation sino-vietnamienne. Parallèlement, le besoin d’une écriture nationale, ayant sa propre identité, se fait sentir mais rencontre un problème de taille : la langue vietnamienne n’a totalement rien à voir avec la langue chinoise (Elles ne sont pas du tout de la même famille linguistique), ce qui veut dire qu’écrire le vietnamien avec des caractères chinois relève de l’acrobatie intellectuelle assez proche de l’impossible. La solution a été de déformer le chu Han - les idéogrammes chinois - de façon à pouvoir leur faire exprimer au mieux la langue vietnamienne. On qualifie cette écriture de « démotique », traduite en vietnamien par chữ nôm.
Beaucoup plus tard, des missionnaires français - dont le plus connu est Alexandre de Rhodes – transcrivent le chu nom en caractères latins, pour donner le quốc ngữ ou « langue nationale ». Ecriture officielle des colons, le quoc ngu devient en 1954 l'écriture officielle de l'administration vietnamienne.
Avec l’apparition des caractères latins, l’art de tracer des lettres (signification du mot la calligraphie) évolue, se transforme. On joue avec les caractères romans, les triturant jusqu’à leur donner une ressemblance avec les idéogrammes chinois.
Avec le quoc ngu, l’écriture vietnamienne s’est affranchie de l’influence chinoise, elle a pris son intendance, sa liberté. Une liberté que l’on retrouve dans la calligraphie : contrairement à ses voisins comme le Japon, la Corée et bien entendu la Chine, la calligraphie vietnamienne n’est plus tributaire des idéogrammes, sa créativité peut s’exprimer en toute liberté. Entre Hán et Nôm, entre Orient et Occident, elle reflète la tradition orientale et la modernité occidentale, pour exprimer avec force et singularité l’identité unique du Vietnam.
Plus qu’une écriture normée, la calligraphie vietnamienne est un vœu, un message, une réflexion, un support de méditation. Elle s’appuie sur ses « 4 trésors » pour s’exprimer :
Tout d’abord, le plus important : un bon pinceau, fidèle medium de la sensibilité du calligraphe. Puis vient l’encre, liquide ou en bâton (la présentation préférée en Asie). Il s’agit un mélange compressé de suie végétale et de colle, que le calligraphe broie avec de l’eau pour en faire une encre liquide au noir puissant. Puis vient tout naturellement l’encrier, de métal ou de pierre, souvent artistiquement ouvragé et enfin le papier. Ce dernier doit offrir une texture soyeuse tout en étant capable d’absorber l’encre.
Cet art demande concentration, maitrise de soi et patience. Aucune retouche possible, pas de gomme… La moindre hésitation et c’est l’échec… L’angle du pinceau, la pression et la vitesse du premier trait guident ensuite la main du maitre. Emotions, réflexions et poésie dansent sur le papier… Une calligraphie réussie est celle qui fait passer un peu de magie dans les yeux et le cœur de celui qui la contemple.
Thu phap est sortie des monastères et des bureaux pour raconter des proverbes, des contes populaires ou des vœux de nouvel an. Parce qu’elle s’est largement démocratisée, elle est d’une actualité moderne et populaire, de tradition et de culture typiquement vietnamienne et ce, malgré ces temps du tout numérique. Des ateliers se montent un peu partout, attirant une palette diversifiée de public : ils sont étudiants, moines, chercheurs, profs de littérature… Tous viennent par curiosité, par passion. Objet d’étude ou de déco, Thu phap s’invite partout : dans les temples et sur les couvertures des livres, sur les enseignes des boutiques ou les emballages… Le visiteur en voyage au Vietnam ne peut manquer cette présence vivante de la tradition. Et pour peu qu’il soit au Pays du Dragon pendant le Tet du Nouvel An Lunaire, il pourra s’étonner de voir aux abords des temples, à un coin de rue passante, de vénérables maitres calligraphes en Ao dai et coiffe traditionnelle, tracer sur un papier rouge quelques signes élégants. En effet, notre voyageur apprendra que dès le 3ème jour du nouvel an, il est coutume de suspendre dans sa maison des sentences parallèles, à la fois pour décorer sa maison, mais surtout pour porter chance, santé et prospérité. On appelle cette coutume xin chu et pour cela, il faut faire appel à un Ong Do, un vieux maitre en calligraphie. Versés dans l’art du tracé Han ou Nom, ils sont cependant largement sollicités pour calligraphier des sentences ou des vœux en quoc ngu, plus facile à lire et à comprendre. Peut-être le voyageur reconnaitra-t-il les mots : Phuc (bonheur), Loc (richesse), Tho (Longévité), Duc (Vertu), Tri (connaissance) ou Tai (Talent) ? Certainement plus facilement que 智 (l’intelligence), 智 (la connaissance), ou 孝, la piété filiale, n’est-ce pas… Toujours est-il que notre visiteur aura tout bénéfice à se rendre au Temple de la Littérature, dans la « rue des calligraphes », pour rencontrer une centaine de ces maitres d’un art à la fois ancestral et résolument moderne. Pour cela, il fera appel a une agence de voyage sur mesure, voyager en période du Tet étant toujours un peu plus compliqué à préparer.
Depuis une quinzaine d’années, on voit évoluer une nouvelle forme de calligraphie appelée "Tiền vệ". Découvert en 2006 et propulsé par l’artiste avant-gardiste aux dents laquées Lê Quốc Việt, ce nouveau courant intrigue et passionne les amateurs. Artiste mais aussi chercheur et érudit, l’homme de 38 ans à la fine moustache écrit aussi bien en Han qu’en Nom, son but étant d’établir un lien entre les personnes vivant dans le présent et dans le passé, pour reprendre ses termes. Il n’est pas besoin de comprendre les idéogrammes, dont il se dit attristé que peu de gens aujourd’hui puisse encore les lire, il est simplement nécessaire de se laisser emporter par les émotions suscitées par cette nouvelle calligraphie – qui s’apparente grandement à de l’art abstrait. Tien Ve combine techniques d’écriture et de peinture, utilise aussi bien les caractères hán, nôm que roman, emploie s’il le faut le verre ou le métal plutôt que le papier… Quant au pinceau… il peut être remplacé par un chat posé sur le support encré, ses pattes écriront un autre langage… Le Quoc Viet a récemment déclaré : "Je suis un humain au 21ème siècle, mais je n'ai pas pu me connecter avec mes ancêtres du 17ème siècle." En cherchant à dépasser le travail fondateur des pionniers de la calligraphie, il tente d’insuffler à cet art ancestral un courant moderne et quelque peu transgressif. Pour mieux se retrouver ? D’autres artistes apportent leurs réflexions, comme Nguyen Quang Thang, Tran Trong Duong, Nguyen Van Thanh ou encore Pham Van Tua. A suivre…
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